Les debuts de Thomas Sankara

L’enfance et l’adolescence de Sankara se déroulent donc sous le double signe de la caserne et de la mission. Ses projets professionnels en sont logiquement imprégnés. Après une scolarité primaire studieuse, il hésite entre le séminaire et le lycée. Il décide finalement d’intégrer le Prytanée militaire du Kadiogo (PMK), dans la banlieue de Ouagadougou, où il entre en 1966, quelques mois après le renversement du premier président voltaïque, Maurice Yaméogo, au pouvoir depuis l’indépendance de 1960, et l’installation d’un régime militaire autoritaire à la tête du pays. C’est à partir de cette époque que Thomas Sankara s’initie au marxisme et découvre l’anti-impérialisme. Le jeune homme, qui n’a alors que dix-sept ans, rencontre en effet un personnage étonnant : Adama Abdoulaye Touré.

Directeur des études au PMK, ce dernier milite en parallèle au sein de la section voltaïque du Parti africain de l’indépendance (PAI), formation qui se revendique du socialisme et se définit comme marxiste-léniniste. Comme le raconte le biographe de Sankara, Bruno Jaffré, Adama Touré anime un cercle anti-impérialiste clandestin que fréquentent assidûment le futur président du Burkina Faso et ses camarades : Adama Touré leur parle du néocolonialisme qui oppresse leur pays, des mouvements de libération ailleurs en Afrique et dans le monde, des révolutions chinoise et soviétique, de l’impérialisme qu’il faut anéantir, du peuple en marche vers sa libération, le socialisme puis le communisme.

L’attachement de Sankara à la formation politique date de cette période. Il ne cessera plus d’appeler les soldats et les officiers à lire et à se former. « Sans formation politique patriotique, prend-il coutume de dire, un militaire n’est qu’un criminel en puissance. »

Ayant obtenu son bac en 1969, Sankara entame une formation de quatre ans d’officier à l’Académie militaire d’Antsirabé à Madagascar. Sur la « Grande Île », il est le témoin de la révolution de mai 1972 qui renverse le régime néocolonial de Philibert Tsiranana. L’action conjuguée de jeunes militaires et de militants syndicaux et politiques conduit à la chute du régime malgache, pourtant soutenu à bout de bras par Paris. Thomas Sankara restera fortement marqué par ce mouvement que les Malgaches appellent, de manière significative, la « deuxième indépendance ».

De retour au pays avec le grade de sous-lieutenant, fin 1973, Sankara est affecté à la formation des jeunes recrues. Il s’y fait remarquer par sa conception de la formation militaire dans laquelle il inclut un enseignement sur les droits et les devoirs du citoyen. Invité par ses supérieurs, le 22 août 1974, à donner une conférence sur le rôle des forces armées dans le « développement », il fustige – au grand dam de sa hiérarchie – l’« armée budgétivore » et l’« oisiveté des soldats ». Ou comment être à la fois militaire et insoumis…

Quelques mois plus tard, en décembre 1974, Sankara participe à la guerre qui oppose le Mali et la Haute-Volta à propos de la zone frontalière dite « Bande d’Agacher ». La percée militaire qu’il réalise avec ses soldats lui donne une renommée immédiate auprès des soldats mais aussi plus largement auprès du peuple. « Sankara entre dans la légende nationale comme héros », souligne un de ses préfaciers David Gakunzi.

Les faits d’armes lors de cette guerre ouvrent à Sankara les portes de la promotion militaire. En 1976, il est nommé à la direction du nouveau Centre national d’entraînement commando (CNEC) à Pô, à 150 km au sud de Ouagadougou, et se voit proposer en 1978 des stages de spécialisation dans les écoles de parachutisme de Rabah au Maroc et de Pau en France. Près de vingt ans après l’indépendance, la Haute-Volta reste marquée par le marasme économique, les disettes et famines régulières, une dépendance totale vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. La révolte gronde et Sankara partage ce sentiment de colère. Il profite de son séjour en France pour prendre contact avec les différentes tendances de la gauche africaine.

 

Bouamama Said, Figures de la révolution africaine, De Kenyatta à Sankara, Paris, La Découverte, 2014, pp 276 – 279

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