Les mathématiques africaines

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L’histoire des mathématiques est souvent racontée à travers les prismes grec, arabe et européen, occultant ainsi des contributions majeures venues d’Afrique. Pourtant, bien avant Pythagore ou Euclide, des civilisations africaines avaient développé des systèmes numériques avancés, des outils de calcul ingénieux et des concepts mathématiques intégrés à leur quotidien.

Des gravures préhistoriques aux systèmes numériques Yoruba, en passant par l’architecture des pyramides et des villes médiévales, les mathématiques africaines témoignent d’une pensée complexe et d’une transmission millénaire du savoir.

1. La préhistoire : Aux origines de la pensée mathématique

Os d’Ishango

L’os d’Ishango (20 000 av. J.-C.) : Le plus ancien témoignage mathématique

L’un des plus anciens artefacts mathématiques connus est l’os d’Ishango, découvert près du lac Édouard, en République démocratique du Congo. Datant d’environ 20 000 ans avant notre ère, il est gravé de séries de nombres organisés en séquences qui suggèrent :

  • Une connaissance des nombres premiers (11, 13, 17, 19).
  • Un système de calcul binaire, préfigurant certaines bases de l’informatique moderne.
  • Une maîtrise des opérations arithmétiques comme l’addition, la soustraction et la multiplication.

💡 Anecdote : Certains chercheurs pensent que l’os d’Ishango aurait pu servir à suivre les cycles lunaires, faisant de lui un des premiers instruments astronomiques de l’humanité.

2. L’Antiquité : Mathématiques et ingénierie monumentale

L’alignement géométrique des pyramides égyptiennes (3000 av. J.-C.)

Vue aérienne des pyramides de Gizeh et leur alignement

L’Égypte antique a marqué l’histoire par l’utilisation avancée des mathématiques en architecture.

  • La pyramide de Khéops est alignée presque parfaitement avec les points cardinaux.
  • L’utilisation du nombre d’or (≈1,618) et des rapports mathématiques dans la conception des monuments.
  • L’application d’un théorème proche de celui de Pythagore bien avant sa formalisation en Grèce.

💡 Anecdote : Des textes hiéroglyphiques révèlent que les Égyptiens utilisaient des cordes à nœuds pour tracer des angles droits et réaliser des mesures précises, une méthode également observée en Afrique de l’Ouest chez les bâtisseurs de Djenné.

Les mathématiques appliquées aux calculs commerciaux (Nubie et Égypte, 2000 av. J.-C.)

Dans les marchés et comptoirs de l’Antiquité africaine, les échanges commerciaux nécessitaient des systèmes de mesure précis.

  • L’usage de bâtons de comptage et d’abaques rudimentaires pour les transactions.
  • La gestion des impôts et récoltes, nécessitant des calculs avancés.
Illustration représentant un marché de l’Antiquité africaine, où les marchands utilisent des bâtons de comptage et des abacuses rudimentaires pour leurs transactions

3. Le Moyen Âge : Une Afrique mathématicienne et architecte

Le Grand Zimbabwe et ses calculs architecturaux (XIe – XVe siècle)

Construite entre le XIe et le XVe siècle, la cité du Grand Zimbabwe repose sur des principes mathématiques avancés.

  • Des murs circulaires en pierre conçus sans mortier, nécessitant des calculs précis sur la répartition du poids.
  • Une planification urbaine organisée selon des principes géométriques complexes.
Illustration de la cité du Grand Zimbabwe

Les systèmes numériques africains

Plusieurs civilisations africaines ont développé des systèmes de numération alternatifs, indépendants du système décimal.

Le système numérique Yoruba (Nigeria, XIIIe siècle)

Les Yoruba utilisent un système vigésimal (base 20) avec une logique soustractive et additive :

  • 45 se dit « àrún-dín-lọgọrin » (50 – 5).
  • 75 se dit « àádọrin » (80 – 5).

💡 Anecdote : Ce mode de numération présente des similitudes avec le système maya, prouvant que différentes civilisations ont exploré plusieurs voies pour compter et calculer.

4. Mathématiques et transmission du savoir : Entre tradition et modernité

Motifs tissu Kente et tresses africaines basés sur les fractales

Les mathématiques africaines ne se limitaient pas aux calculs abstraits : elles étaient pratiques et intégrées dans la vie quotidienne.

  • Mesures de terrains et systèmes de taxation : utilisées dans les royaumes d’Afrique de l’Ouest pour organiser les échanges commerciaux.
  • Codification mathématique des tissages : chez les Akan et les peuples du Ghana, les motifs de tissus comme le Kente sont souvent basés sur des principes mathématiques précis.
  • Musique et mathématiques : La polyrythmie africaine repose sur des fractales et divisions rythmiques complexes, qui influencent aujourd’hui la musique moderne.

💡 Anecdote : Le célèbre mathématicien Ron Eglash a montré que les villages africains, les sculptures et les motifs textiles respectent des fractales, un concept mathématique qui n’a été formalisé qu’au XXe siècle en Occident.

Le bâton de calcul des Bamanas

Les Bamanas du Mali utilisaient des bâtons de calcul gravés en bois pour effectuer des additions, multiplications et répartitions de richesses. Ces outils servaient notamment dans les échanges commerciaux et la gestion des stocks agricoles.

💡 Anecdote : Cette méthode rappelle les bâtons de comptage utilisés en Mésopotamie et en Chine, montrant que des civilisations différentes ont développé des outils similaires pour résoudre des problèmes mathématiques concrets.

Le calendrier mathématique des Dogons

Les Dogons du Mali ont développé un système calendaire complexe, basé sur des multiples de 60, qui régit leur organisation sociale et agricole. Ce calendrier intègre :

  • Les cycles astronomiques, en lien avec leurs observations de Sirius.
  • Une division de l’année en périodes précises, utilisées pour planifier les récoltes et les rites initiatiques.

💡 Anecdote : Le cycle de 60 ans utilisé par les Dogons dans leur calendrier est proche du cycle sexagésimal babylonien, suggérant des connaissances astronomiques précises indépendantes des modèles européens ou asiatiques.

5. Un héritage à valoriser et moderniser

Vers une reconnaissance académique

Aujourd’hui, les chercheurs en histoire des sciences commencent à revaloriser ces contributions africaines.

  • Des études en ethnomathématiques explorent la diversité des systèmes numériques africains.
  • Des universités africaines intègrent de plus en plus ces savoirs dans leurs cursus.

Applications modernes

  • L’utilisation des fractales en architecture et en intelligence artificielle s’inspire de motifs observés en Afrique.
  • L’étude des systèmes numériques alternatifs pourrait offrir des innovations en informatique et en cryptographie.

💡 Anecdote : En 2010, des chercheurs ont démontré que les modèles de distribution urbaine en Afrique de l’Ouest obéissent à des lois mathématiques fractales, une découverte qui intéresse les urbanistes modernes.

Conclusion : L’Afrique, terre de mathématiques

Loin d’être un continent en marge des sciences, l’Afrique a développé des systèmes mathématiques sophistiqués bien avant l’ère moderne. De l’os d’Ishango aux structures fractales observées dans l’urbanisme et l’art africain, les mathématiques ont toujours été présentes dans les sociétés africaines sous des formes originales et avancées.

Redécouvrir ces savoirs, c’est non seulement rendre justice à l’histoire africaine, mais aussi ouvrir de nouvelles perspectives pour les sciences modernes.


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