Il y a 200 ans, l’Afrique australe a connu de grands bouleversements : des populations se sont combattues pour prendre possession de la terre. Cette période est restée connue sous le nom de Mfécane.
Le Mfécane a d’abord opposé des peuples d’éleveurs bantous, puis les Zoulous aux Boers.
L’enfance
Chaka serait issu d’une union illégitime entre Nandi, princesse Langeni, et Senza Ngakona, chef du clan des Zoulous (une fraction du peuple nguni, issus des Bantous qui peuplèrent l’Afrique du Sud du XIIIe au XVIIIe siècle). D’après la légende, il aurait été considéré comme un bâtard, rejeté et humilié par son père, régulièrement maltraité par ses camarades [1]. Ces expériences l’endurciront et marqueront sa personnalité d’une soif de vengeance. Mazisi Kunene, qui, lui, s’est inspiré des traditions zouloues, explique que la mère de Chaka, Nandi, était une princesse autoritaire. Elle s’est fâchée avec son mari et avec ses co-épouses, ce pourquoi elle a été répudiée. Cause de guerre entre les Abasema Langeni, son peuple, et la tribu zouloue, elle a dû fuir chez les Qwabe, dont elle aurait épousé l’un des princes. Ainsi, Mazisi Kunene ne réfute pas la difficile enfance de Chaka, mais la nuance.
Chaka ne s’entend pas avec les membres de la famille royale qwabe (contre lesquels il devra guerroyer plus tard). Il part chez les Bathwetwa et devient membre de l’armée de Dingiswayo, le souverain des Bathwetwa. Il devient rapidement le guerrier le plus remarquable de l’armée de Dingiswayo. Doué d’une force physique et d’une endurance prodigieuses, il excelle au combat. Il est charismatique et se révèle être un fin stratège. Sa réputation s’étend. Il devient bientôt le porte-parole et le bras droit de Dingiswayo.
L’ascension
À la mort de son père, Sigujana, l’un des demi-frères de Chaka, assure la succession conformément à la volonté de leur père, et devient le chef du clan zoulou. Dingiswayo appuie Chaka pour qu’il prenne le pouvoir. Dans la bataille, Sigujana trouve la mort.
Chaka règne sur son peuple et commence à lui appliquer ses idées révolutionnaires pour créer une puissante armée. Il continue à combattre pour Dingiswayo, qui a quelques démêlés avec un puissant voisin aux visées impérialistes, Zwide, chef de la tribu des Ngwane. En quelques années, celui-ci parvient à ses fins : il réussit à faire prisonnier et à assassiner Dingiswayo, grâce à l’appui de ses espions. À la suite de cet événement, les régiments bathwetwas élisent Chaka au titre de chef souverain.
Le Royaume zoulou
Après la mort de Dingiswayo, Chaka défait Zwide lors de deux batailles mémorables où il utilise son sens aigu de la stratégie. Ensuite, s’ouvre le temps des conquêtes. Il devient le chef d’une grande partie des tribus ngunies du Natal. Il les assimile à sa tribu, et leur fait porter son nom, celui de Zoulou. Pour ce faire, il remodèle son peuple en une armée de métier constituant le pivot de la société, ce qui en bouleverse les structures traditionnelles. Il astreint au service militaire tous ses sujets, crée un corps d’amazones, impose la langue zoulou à ses voisins. Il réorganise l’armée zouloue, qui devient permanente. Il supprime l’initiation des jeunes hommes mais conserve la division en classe d’âges pour former des régiments. Il les stimule par des concours d’épreuves : aux vainqueurs sont offertes les plus belles filles nubiles, initiées à la lutte et au combat. Il multiplie les exercices physiques et accroît la part de nourriture carnée de ses troupes.
Il révolutionne ensuite la stratégie militaire de son armée (tâche initiée avec sa propre tribu) : il opte pour la stratégie d’attaque « en tête de buffle » : les troupes sont divisées en quatre corps, deux ailes forment les cornes de buffle et deux corps centraux placés l’un derrière l’autre forment le « crâne ». Opérant en mouvement tournant, l’une des ailes attaque, tandis que l’autre se cache et n’intervient que lorsque le combat est engagé. Il mène une guerre totale et utilise la tactique de la terre brûlée grâce à des régiments spéciaux, les impi ebumbu (régiments rouges).
L’armée de Chaka à son apogée comptera plus de 100 000 hommes, auxquels il faut ajouter environ 500 000 hommes des tribus voisines. Chaka oriente l’expansion des Zoulous dans deux grandes directions : vers l’ouest et vers le sud contre les Tembou, Pondo et Xhosa. Ils sèment la terreur chez les Nguni, les Swazi, les Sotho et les Xhosa. En dix ans, Chaka se taille un empire dans le Natal.
Il fait pratiquer un eugénisme systématique : les vieillards des peuples vaincus sont supprimés, les femmes et les jeunes incorporés. Les jeunes ont la vie sauve à condition de s’enrôler dans les impi, d’abandonner leur nom et leur langue, et de devenir de véritables Zoulous.
En 1820, quatre ans après le début de sa première campagne, Chaka avait conquis un territoire plus vaste que la France.
A partir de 1822, Chaka déploie ses armées à l’est du Drakensberg. Face à lui, de nombreuses collectivités choisissent de fuir, attaquant au passage leurs voisins, ce qui ajoute à la confusions. La carte ethnique de la région est bouleversée (ce processus est nommé Mfecane, « mouvement tumultueux de populations). La tradition tend à rendre Chaka coupable du Mfecane. En vérité, ce mouvement de migration avait déjà commencé avant sa prise de pouvoir, avec, entre autres, les combats entre Zwide et Matiwane.
Trois des généraux de Chaka le quittent pour conquérir l’Afrique australe en appliquant ses méthodes brutales : Moselekatse (ou Mzilikazi), après sa rupture avec Chaka en 1821, se dirige vers le sud-ouest avec les Ndébélé, disperse les Sotho sur les bords du Vaal et s’installe entre le Vaal et l’Orange jusqu’en 1836 ; Manoukosi (ou Sochangane) soumet les Tonga au Mozambique actuel (1830) ; Zouangendaba migre trois mille kilomètres vers le nord.
La chute
Les circonstances de sa mort, survenue en 1828, sont floues : Chaka serait mort poignardé par ses demi-frères Dingane et Mhlangane, victime d’un complot orchestré par ses frères et sa tante Mkabayi, avec l’aide d’un de ses hommes de confiance, Mbopa.
Chaka fut un chef charismatique, un stratège et un organisateur de génie, fondateur d’une nation. Et comme Napoléon, à qui il est parfois comparé, il fut un conquérant et un despote. Son action influença la vie et le destin de régions entières de l’Afrique australe.
Chaka a été un symbole important dans la lutte idéologique entre les Noirs et les Blancs en Afrique du Sud. Les Blancs l’ont beaucoup diabolisé, le présentant comme un tyran barbare. Pour les Zoulous, il est un personnage complexe, semi-légendaire, un fabuleux guerrier auquel on peut faire remonter la fierté de la nation.