« Mythes fondateurs » et tradition orale dans l’aire culturelle Aja-Tado : Le Royaume de Tado

L’aire culturelle Aja-Fon, ou Aja-Tado, couvre le Sud des actuels Bénin et Togo. Selon l’historien Nicoué Lodjou Gayibor, la mosaïque de populations qui la compose présente un certain nombre de caractéristiques communes : elles ont des origines les rattachant à Oyo, au Nigeria, parlent des langues apparentées et pratiquent le culte vodou. Cette aire culturelle transcende donc les frontières passées et actuelles si bien que cette série d’articles sur les « mythes fondateurs » s’attachera, à travers les récits transmis de génération en génération et qui subsistent encore aujourd’hui dans la mémoire des Aja-Fon, à conter l’histoire de la fondation des royaumes précoloniaux qui composaient cet espace.


1/ Tado, berceau des royaumes Aja-Fon

Depuis des décennies, l’histoire de la fondation du Royaume de Tado pose une énigme aux historiens tant la tradition orale propose de versions divergentes. Nicoué Gayibor rappelle ainsi que coexistent différents « corpus de traditions » chez les divers groupes issus du Royaume de Tado. Ainsi, face à la version dominante telle que véhiculée par les actuels habitants de Tado, persistent des récits minoritaires portés par les Ewé et d’autres populations localisées dans l’actuel Bénin. Ces traditions n’en paraissent pas moins plausibles à certains égards.

La tradition populaire de Tado

Axes de migration dans l’aire culturelle Aja-Tado à l’époque précoloniale

(c) Dominique Juhé-Beaulaton (2010)

Notre histoire se déroule au Sud de l’actuel Togo, berceau du royaume des Aja, dont la capitale était Tado (ou Sado). Il est dit par la tradition populaire locale que le royaume fut fondé, probablement entre les XIIème et XIIIème siècles, par un Yoruba venu d’Oyo (Nigeria) : Togbe Anyi. Certains le disent prince, d’autres guerrier.

Quittant Oyo à la mort de son père, Togbe Anyi commença tout d’abord par fonder un royaume à Ketou (Sud-Est du Bénin), mais des dissensions internes conduisirent à son déclin et à l’exil des divers clans qui s’y affrontaient.

Togbe Anyi partit vers l’Ouest en quête d’une nouvelle terre, s’arrêtant dans les villages qui semaient son parcours. Il cherchait pour s’établir un peuple dont le caractère lui semblât digne de confiance. Ainsi, chaque soir, à l’abri des regards, il prétendait battre sa femme en appliquant des coups de fouets sur une peau de bête tandis que son épouse simulait des cris de douleur et de détresse. Chaque fois, les habitants prétendaient ignorer ces violences et Togbe Anyi poursuivait sa route… Jusqu’au jour où il parvint dans le village de Azame, où les habitants (les Alou) le prirent à partie pour les maltraitances infligées à son épouse. Impressionné, Togbe Anyi décida de s’établir dans cette localité.

La situation était rude à Azame. La région souffrait de pluies irrégulières, qui menaient à une baisse inquiétante de la production agricole. Togbe Anyi partagea avec la population les secrets des cérémonies religieuses de sa terre d’origine permettant d’apporter une réponse à cette problématique. Il leur enseigna également les rites pour se prémunir d’attaques ennemies et d’épidémies.

On dit que le pouvoir de Togbe Anyi était si grand qu’il lui valut d’être intronisé en tant que premier roi d’Azame sous le titre d’anyigbanfyo (« roi de la terre ») et que le village en vint à être désigné sous le nom de Tado (« halte aux malheurs »). Au fil du temps, le royaume acquis une réelle importance tant économique que religieuse dans la région qui perdura bien après la disparition de Togbe Anyi. Entre les XIIIème et XVème siècles, le roi de Tado, assimilé à un être divin, recevait ainsi l’hommage des souverains voisins.

Vues du Palais de Tado

(c) http://serendip.brynmawr.edu/sci_edu/Togo/tado.html

La tradition orale veut que Togbe Anyi ne mourût pas : à un âge avancé, il disparut sous terre à un endroit dont l’emplacement est encore marqué de nos jours par un petit monticule de terre au sein d’un sanctuaire. À son côté, une jarre, gardée par un essaim d’abeilles, contient les crânes des rois qui se succédèrent à Tado.

Variantes et divergences

De l’origine étrangère de Togbe Anyi – La version de la famille royale

Dans les années 1980, le roi de Tado déclara vouloir révéler au grand jour la « tradition secrète de la famille royale » et affirma que Togbe Anyi ne serait pas d’ascendance purement étrangère, mais bien enfant de Tado. Il fut appuyé par des notables de la ville qui rattachèrent l’ascendance de Togbe Anyi à Gagli, ancêtre des Alou (les premiers habitants d’Azame), dont la fille fut enlevée lors d’un raid des Yoruba et mariée au roi d’Oyo. Elle donna naissance à un fils, Baba, qui à la mort de son père s’enfuit pour rejoindre ses oncles maternels à Tado, où il régna. À sa mort il fut déifié sous le nom de Togbe Anyi. En d’autres termes, le trône n’aurait jamais échappé « au sang » des premiers habitants de Tado. L’historien Nicoué Gayibor souligne d’ailleurs que la famille royale a conservé le nom d’Azanou, clan autochtone qui possédait le pouvoir avant l’arrivée de Togbe Anyi.

Statue représentant un roi de Tado

(c) Quotidien Le Matinal

Du rôle fondateur de Togbe Anyi – La tradition de Porto-Novo

Selon la tradition de Porto-Novo, la dynastie de Tado fut fondée par Alohuhon. D’un âge avancé, il vivait seul avec sa fille Dako-Hwin tandis que ses treize fils avaient chacun fondé leur propre foyer. Un jour, un prince yoruba du nom d’Adimola arriva sur les terres de Tado et conquit la sympathie du roi, et la main de sa fille, par ses talents de guerrier et de magicien : alors qu’un roi voisin du nom de Kpon-Kpon menaçait le royaume, Adimola fit pousser une immense forêt qui cacha le peuple de Tado durant neuf jours, décourageant Kpon-Kpon qui mit fin au siège.

À la mort d’Alohuhon, ses fils se succédèrent au pouvoir durant une brève période alors qu’une mystérieuse maladie les emportaient à tour de rôle en quelques jours. Les devins parvinrent à la conclusion que seule Dako-Hwin et ses descendants pourraient régner. Togbe Anyi ne serait que l’un des membres de cette lignée issue de Dako-Hwin et Adimola, ce qui expliquerait qu’il n’apparaisse pas dans certaines traditions orales comptant la fondation de Tado (celle des Ewe par exemple).

Les éléments concordants

Quelle que soit la version retenue, il ne fait nul doute pour les historiens que le Royaume de Tado et ses traditions sont issues d’un métissage entre populations yoruba et autochtones. On ne peut non plus nier l’importance du personnage de Togbe Anyi qui a joué un rôle majeur dans le développement du royaume, indépendamment de l’origine qu’on lui prête.

Si l’histoire a oublié la majorité des noms des souverains qui se succédèrent à la tête du royaume ainsi que leur nombre (les habitants de la ville évoquaient 143 rois en 1974 ; l’actuel monarque a quant à lui été intronisé en tant que 187ème roi), la tradition orale se souvient de l’importance du Royaume de Tado, père des célèbres Royaumes d’Allada, Dahomey et Porto-Novo au Bénin et de Notse au Togo. Pour sa part, Togbe Anyi est encore révéré comme un dieu et, chaque année, une fête en son nom est organisée à Tado. Elle rassemble les Adja autour de la célébration de leurs traditions et de la fertilité de la terre.

Sortie du roi de Tado à l’occasion de la fête Togbe Anyi

(c) La Voix de la Nation

Sources :

  • Gayibor, N., 1985, L’aire culturelle Ajatado, des origines à la fin du xviiie siècle, thèse de doctorat d’État, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
  • Gayibor, N., 1992, Traditions historiques du Bas-Togo, Niamey, Centre d’Études Linguistiques et Historiques pour la Tradition Orale.
  • Gayibor, N., 2011, Histoire des Togolais. Des origines aux années 1960 (Tome 1 : de l’histoire des origines à l’histoire des peuplements), Paris, Karthala
  • Juhé-Beaulaton, D., 2010, « Organisation et contrôle de l’espace dans l’aire culturelle aja-fon (Sud-Togo et Bénin – XVIIe-XIXe siècle) », Afriques
  • Houseman, M., 2012, « Note sur les récits de fondation des royaumes Aja-Tado du Sud Bénin » dans Dominique Casajus; Fabio Viti. La terre et le pouvoir. A la mémoire de Michel Izard, CNRS Editions, pp.223-248.
  • Palau Marti, M., 1964, Le roi-dieu au Bénin, Paris, Mondes d’outre-mer, Berger Levrault

Laisser un commentaire

*

%d blogueurs aiment cette page :